Petit moment de stress pour les organisateurs dans l'après-midi quand Jeff Herr téléphone pour prévenir que son saxophoniste Maxime Bender vient d'être hospitalisé et qu'il risque fort de devoir annuler sa prestation. Heureusement une demi-heure après, il annonce qu'il a trouvé un remplaçant qui connaît le répertoire pour l'avoir joué lors d'une tournée en inde en 2015. C'est donc Damien Prud'homme qui se présente quelques minutes avant le début du concert. Le temps de se remettre en tête quelques passages particulièrement difficiles, et on fait entrer le public. Et l'on peut dire que si ce public n'avait pas été averti du changement de saxophoniste, personne n'aurait pu penser qu'il ne s'agissait pas de la formation annoncée. Pourtant le jeu et le son de saxophone de Damien Prud'homme sont bien différents de ceux de Maxime Bender, mais la formation présentée est tout aussi cohérente que le trio initial. Jeff Herr rend d'ailleurs hommage à Damien Prud'homme à plusieurs reprises, précisant qu'il était le seul à pouvoir relever le défi. Et il s'agissait bien d'un défi : les compositions de Jeff Herr sont fort personnelles, les métriques complexes, les structures loin d'être évidentes. Rassuré par la contrebasse superbement efficace de Laurent Payfert qui procure une assise solide, Damien Prud'homme se sent chez lui et prend rapidement ses aises, démontrant quel magnifique saxophoniste il est. Jeff Herr peut sans crainte développer son jeu tout à fait personnel. Il tire de son set de batterie très basique une ribambelle de sons en alternant différentes techniques de frappe, utilisant les mains, les doigts, parfois une petite cymbale posée sur la peau de ses fûts, frappant les cercles de ses toms. Et quelle magnifique technique de caisse-claire ! Ce jeu très rythmique et ouvert groove terriblement. Héritier des grands batteurs modernes ( j'ai parfois pensé à Ed Blackwell ou à Jeff Tain Wats ), il réussit à être extrêmement personnel, souvent là où on ne l'attend pas, et toujours à l'écoute de ses partenaires qu'il relance constamment. Laurent Payfert développe un son magnifique et très rond qui assure les fondements des morceaux. Il est aussi très inspiré dans ses chorus et fait preuve d'une belle technique à l'archet à plusieurs reprises, avec une belle maîtrise des harmoniques. Avec de tels partenaires, Damien Prud'homme se laisse aller à de belles escapades, poussant parfois son ténor dans les aigus, avec un son toujours maîtrisé.
Les compositions sont souvent dynamiques, avec des thèmes à tiroirs qui alternent les passages très écrits et les moments plus ouverts. Une belle ballade que Jeff Herr dédie à sa petite fille permet à Jeff Herr de montrer qu'il est aussi un mélodiste qui maîtrise l'harmonie. ( "pour un batteur qui ne connaît que 5 accords, j'ai réussi à en mettre 15, j'ai compté !", annonce-t-il avec humour.)
Le trio "saxophone/contrebasse batterie" est un exercice à haut risque. Il est difficile de ne pas penser aux chefs d'œuvre de Sonny Rollins ou Joe Henderson, ou plus récemment Josuah Redman. Tout en étant dans la continuité de ces maîtres, Jeff Herr a su trouver une voie originale, en apportant une plus grande importance au rythme, et en intégrant les influences plus contemporaines du hip-hop et et de ses dérivés, et des clins d'oeil à la pop musique.
Le public accroche et se montre très chaleureux tout au long du concert. En guise de rappel, une reprise de Jimi Hendrix, " Spanish Castle Magic", qui ne figure pas sur l'album "Layer Cake", le premier album de "Jeff Herr Corporation fortement recommandé. On attend avec impatience le second !Patrice Boyer
P.S. Des nouvelles plutôt rassurantes de Maxime Bender à qui nous souhaitons un prompt rétablissement.